Le contact entre la bouche du cheval et la main du cavalier est un des marqueurs essentiels de la relation équestre. Il procède à la fois de questions de sentiment, de technicité, d'harmonie. Il est l'objet de multiples comparaisons, depuis celle du volant de la voiture ou du guidon de vélo jusqu'à celle du fil électrique qui n'a pas besoin d'être tendu pour que le courant passe …

Il peut être de nature instinctive entre le poulain et l'humain qui lui donne sa première éducation, ou de nature élaborée entre le cheval de haute école et l'écuyer. Alors plutôt que d'en analyser toutes les composantes, essayons simplement de comprendre quelques aspects du sentiment équestre qui conditionne cette relation.

Ce que touche par l’intermédiaire des rênes la main du cavalier, ce n’est pas la bouche du cheval. C’est l’ensemble du fonctionnement de sa ligne du dessus, le dos, le garrot, l’encolure. Le cheval qui a envie d’avancer met en jeu les muscles de sa ligne du dessus. Il a ainsi tendance à vouloir étendre l’encolure. C’est pourquoi il est naturellement incité à prendre le contact du licol, du caveçon ou du mors. Lorsque la main sait rendre confortable et sécuriser ce contact, il devient un guide qui dirige et oriente le mouvement. On voit ici le risque qu’il peut y avoir à chercher une fausse légèreté ou à accepter des chevaux qui sont « en arrière de la main », c’est à dire qui ne viennent jamais se poser sur les rênes. Ils paraissent confortables mais en fait ne livrent pas leurs forces car l’absence d’un simple contact fait qu’ils ne savent pas dans quelle direction orienter ces forces.

L’avantage pour la main du dresseur ou du meneur de sentir ainsi l’envie d’avancer du cheval permet de donner toute son importance à cette notion de contact. Elle implique en effet une impulsion élémentaire chez le jeune cheval. Elle est conditionnée par la capacité de cette main à suivre les mouvements de l’encolure, à moduler son action selon les réactions du cheval. Ainsi, la main canalise l’impulsion sans jamais la contrarier. Elle permet la fluidité des mouvements grâce au bon fonctionnement du dos. Elle peut même utiliser l’envie du cheval d’avancer plus en lui laissant croire qu’il va pouvoir s’appuyer sur la main. C’est la main « impulsive », si bien utilisée par les jockeys de galop, mais qui existe aussi dans toutes les utilisations du cheval. S’inspirant du principe action – réaction, elle a cependant tendance à faire tirer les chevaux et est donc réservée à des mains expertes. Elle est à exclure totalement avec les jeunes chevaux puisqu’il faut d’abord qu’ils apprennent à se porter en avant, ensuite à accepter le contrôle par l’intermédiaire du mors. C’est pourquoi, un jeune cheval doit d’abord pouvoir travailler sur des rênes semi – longues et pas vraiment ajustées. C’est seulement lorsque cette étape est acquise que le contact se transforme pour aller jusqu’à la mise sur la main.

Dans cette progression, le jeune cheval va pouvoir accepter d’autant plus facilement le contact, que celui–ci a toujours été léger et qu’il s’est plus agi d’un guide que d’une contrainte. La comparaison idéale est pour moi celle de l’adulte qui tient la main d’un enfant dans la rue, qui ne le lâche pas mais qui ne lui écrase pas les doigts. Cette confiance dans la main va permettre de stabiliser la position de l’encolure et de la tête du cheval. Selon sa conformation et selon le type de travail du jeune cheval, les attitudes en résultant seront variables. Par exemple, si tous les critères de locomotion nous montrent qu'un cheval fonctionne très bien alors qu'il a l'encolure haute et la tête libre, qu'il est donc dans une attitude du devant pour le moins atypique, pourquoi ce travail serait-il répréhensible ? Pour un cheval dont le dos est naturellement fait pour s'ouvrir ( comme le sont souvent certains chevaux arabes ) le fait d'avoir « la tête en l'air » ( encolure relevée et chanfrein à 45° en avant de la verticale ) peut être idéal puisqu'il ne peut se tendre que dans cette attitude. A l'inverse, on peut voir des chevaux dans une attitude du devant parfaite, c'est à dire avec l'encoure arrondie, la tête fléchie à la nuque, stable sur le mors ; mais quand on les voit fonctionner, on s'aperçoit qu'ils sont tout raides et étriqués. Cela prouve un travail mal orienté sauf si l'intérêt est d'en faire un cheval « presse boutons », dérive possible d'un dressage mal compris.

L'objectif premier sera donc d'obtenir la qualité de ce contact, et non pas une certaine position de la tête, laquelle dépend de la conformation du cheval et est une conséquence de l'orientation du bout de devant. Le contact avec la main vient simplement régulariser l'attitude naturelle du cheval. Dans tous les cas, la valeur du travail du jeune cheval se verra dans sa physionomie, son regard, le jeu de ses oreilles, sa respiration et bien sûr sa bouche, calme, bien irriguée, salivant éventuellement, et posée sur la main.

Pour le cheval qui n'est plus qualifié de jeune, soit par son âge, soit par l'avancement de son dressage, la notion de contact va évoluer vers une subtilité difficile à définir. Le plus souvent instinctif, déterminé plus par l'orientation du buste du cavalier que par l'action de ses mains, le contact est un guide naturel vers la direction à suivre. Il est surtout lorsqu'il se renforce une indication pour le cheval qu'il va falloir ralentir, et lorsqu'il s'estompe qu'il peut avancer plus. Selon la position des mains, il est signe d'incurvation ou de simple flexion de la tête à la nuque. Sa stabilité sous-entend la continuité dans l'action ou l'exercice. Mais surtout la synergie du contact de la main avec la gestion de l'impulsion par l'assiette et les jambes permet d'aboutir au contrôle de l'ensemble du corps et des quatre jambes du cheval. Et la facilité de ce contrôle, grâce à l'harmonie du couple dont les sensations évoquent un dialogue réciproque, permet d'accéder à la légèreté. De cette finesse de sentiment découle le rassembler, la vitesse en épreuves d'obstacles, l'expression dans le travail de haute école, et l'immense satisfaction du cavalier qui peut alors s'amuser à expliquer comment il déclenche un changement de pied : « J'y pense et ça suffit (Cl Danloux) » et se conformer au célèbre proverbe arabe disant que le bonheur se trouve sur le dos de nos chevaux !

               B M - Mars 2016