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Le Cadre noir de Saumur est un corps de cavaliers d’élite missionné pour l’enseignement équestre supérieur et la préservation de l’Équitation de tradition française. Militaires à l’origine, les écuyers exerçaient à l’École de cavalerie. Devenu civil, ce corps d’instructeurs enseigne depuis à l’École nationale d’équitation (ENE), devenue une entité de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE)

Par Honorine TELLIER | 15.05.2020 | Article paru sur equipedia.ifce.fr

 L’origine du nom « Cadre noir »

La dénomination « Cadre noir » est une référence à la couleur des uniformes des instructeurs d’équitation de l’École de cavalerie, qui portaient du noir dans une volonté de contraste avec les officiers en charge de l’enseignement militaire qui étaient en bleu.

La première mention dans la presse aurait été faite dans un article du Sport Universel Illustré datant du 28 juillet 1900. Le terme est également présent dans un fascicule Saumur, son rôle, son avenir rédigé par l’écuyer en chef, le Commandant Blacque-Belair, en 1910. Le film documentaire Cadre noir, Cadre bleu sur l’École de cavalerie de Saumur, réalisé par Jean-Claude Huisman en 1947, semble avoir popularisé l’expression.

La marque « Cadre noir » est déposée une première fois le 25 janvier 1987 ; le dépôt en est renouvelé depuis. Le nom « Cadre noir » n’est véritablement officialisé qu’avec le décret n°86-128 du 21 janvier 1986 ; jusqu’à cette date, le Cadre noir était désigné comme « Les écuyers du Manège de Saumur » dans les écrits officiels.

Les prémices

 Au XVIème siècle d
affiche des carabiniers
« L’affiche des carabiniers » © Gallica/BNF - ouvrage du Château - Musée de Saumur
éjà, un enseignement équestre était dispensé à Saumur dans le cadre de l’Université protestante fondée par Duplessis-Mornay. La formation était assurée par M. de Saint-Vual, selon les principes d’Antoine de Pluvinel.

Au XVIIIème siècle, Louis XV souhaite améliorer la formation et l’organisation de la cavalerie française et charge le Duc de Choiseul de la création de cinq écoles de cavalerie à Douai, Besançon, Cambrai, Metz et Angers. L’évêque de cette dernière ville, craignant les mauvaises mœurs des Royal Carabiniers de Monsieur, décide de les envoyer à Saumur. La multitude d’écoles entraîne malheureusement un manque d’unité dans l’instruction des troupes à cheval. En 1766, une commission est en charge d’étudier chaque méthode d’enseignement afin de sélectionner la plus performante. En 1771, c’est finalement celle des Carabiniers de Saumur qui est choisie. Les autres écoles sont fermées, tandis qu’ouvrent d’autres manèges à Saint-Germain et à Versailles. En 1788, les Carabiniers sont envoyés à Lunéville et l’École de Saumur est fermée en 1790, faute de finances.

En 1796, une École nationale des troupes à cheval est reconstituée à Versailles avec pour enseignants Coupé, Jardin et Cordier. Une École spéciale de cavalerie est ensuite créée en 1807 à Saint-Germain-en-Laye ; les écuyers en charge de l’instruction sont Desoffy, Dutertre, Bourlon et, de nouveau, Cordier. L’école est fermée avec la fin du Premier Empire, le 1er août 1814.

En décembre de la même année, une École d’instruction des troupes à cheval est créée à Saumur par Louis XVIII, suite à la demande du Ministre de la Guerre, le maréchal Soult. Elle a pour mission la formation des instructeurs de l’ensemble des corps de cavalerie. L’enseignement équestre de la cavalerie lourde est confié au marquis Ducroc de Chabannes, tandis que le Commandant Cordier est en charge de la légère. Une rivalité s’instaure cependant entre les deux écuyers, qui n’ont pas la même vision de l’enseignement. Le premier s’attache à avoir un cavalier à l’aise sur une monture aux allures régularisées, tandis que le second instruit une équitation plus académique dans le travail de manège et des sauts d’école. Le marquis quitte finalement l’école en 1817. En 1822, l’école est fermée à cause d’une conspiration bonapartiste et est rétablie un an plus tard, à Versailles, malgré un manque de places.

L’École de cavalerie de Saumur

 Sur une ordonnance de Charles X, le 10 mars 1825, l’École de Versailles est transférée à Saumur et devient l’École royale de cavalerie. Le général Oudinot est nommé à la tête de l’école, tandis que Jean-Baptiste Cordier, devenu écuyer civil, devient le premier écuyer en chef du Manège. Trois ans plus tard, l’école présente le travail de manège et des sauteurs lors d’un premier carrousel en l’honneur de la duchesse de Berry. L’enseignement équestre se structure et s’uniformise autour d’un Cours d’équitation militaire publié en 1830, qui regroupe l’anatomie du cheval, la manière de le dresser et de le maintenir en bonne santé.

Au XIXème siècle, le Min

Photographie d'Alexis L'Hotte (1864) © J. Toussaint Le Roch - fonds photographique Cadre noir/IFCE
istère de la Guerre, toujours en quête d’une meilleure formation pour ses troupes, teste différentes méthodes d’équitation, dont celle de François Baucher en 1843, sous la houlette du Commandant Delherm de Novital, écuyer en chef de l’époque. C’est finalement le Cours d’équitation du comte Antoine Cartier d’Aure qui est adoptée en 1853, celui-ci étant devenu écuyer en chef en 1847. Prônant une équitation d’extérieur, il officialise les courses militaires en 1850 et développe la pratique du saut d’obstacles naturels.

De 1864 à 1870, le Général L’Hotte, élève de Baucher et d’Aure, est écuyer en chef, avant de devenir, cinq ans plus tard, le commandant de l’école. Sa doctrine « calme, en avant et droit » devient celle des écuyers du Manège de Saumur. Il introduit le trot enlevé dans l’enseignement équestre militaire en 1875 et participe à l’élaboration du nouveau règlement de cavalerie de juillet 1876. Privilégiant la méthode dauriste pour l’instruction des cavaliers militaires, il pratiquait néanmoins la méthode bauchériste sur ses chevaux personnels. C’est d’ailleurs sur l’un de ses chevaux, Laruns, qu’il dirige avec succès les présentations du Manège de Saumur en 1866, au Palais de l’Industrie, devant Napoléon III.

Les écuyers en chef qui succèdent à L’Hotte, notamment Lignières, Pietu, Piolant et de Canisy, perpétuent une équitation d’extérieur toujours plus sportive, sans oublier cependant le travail de manège et des sauteurs.

Le Manège de Saumur pendant les deux guerres mondiales

 
Danloux à l'obstacle sur le cheval Acis
Danloux à l'obstacle sur le cheval Acis, à Verrie © Fonds photographique Cadre noir/IFCE
La déclaration de guerre en 1914 provoque la dissolution du Manège, qui ne sera reconstitué qu’en 1919 sous le commandement de Wattel. Le Colonel Danloux qui lui succède, marque l’histoire du saut d’obstacles en introduisant et en améliorant la position en avant prônée par l’écuyer italien Caprilli. Il développe également, en collaboration avec les selliers Jeannin et Clément, une selle dite « à la Danloux » munie de taquets plus marqués et d’un siège plus creux qui assure une meilleure stabilité du cavalier. Le Capitaine Lesage, qui deviendra à son tour écuyer en chef, remporte une médaille de bronze en dressage individuel aux Jeux Olympiques de 1924 avant de remporter l’or, en individuel et par équipe, en 1932 à Los Angeles. Le Général Decarpentry, écuyer puis commandant en second à Saumur, rédige des ouvrages qui feront date, mais aussi le premier règlement de dressage, avec le Général allemand Von Holzing, pour la Fédération Équestre Internationale (FEI).

Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Manège se déplace d’abord en zone libre, à Montauban, en août 1940. C’est la « colonne Laissardière » qui convoie 400 équidés, avec l’aide d'une quarantaine de palefreniers militaires, par camions, trains et même parfois à pied. Lors de l’armistice, l’École de cavalerie est installée à Tarbes et les écuyers du Manège, sous les ordres du Commandant Aublet, y sont présentés comme des sportifs plus que des militaires. En fin d’année 1942, le Manège, dirigé par le Commandant de Ballore, déménage à Fontainebleau et devient une école nationale d’équitation sous tutelle du Commissariat aux Sports.

Le Manège ne retrouve Saumur qu’en 1945 et prend place au cœur de la nouvelle École d’Application de l’Arme Blindée et de la Cavalerie (EAABC). Le Commandant de Minvielle, mais surtout le Lieutenant-Colonel Margot, vont assurer la réorganisation et le rayonnement du Manège, alors même que le cheval n’est désormais plus indispensable à l’armée.

De l’après-guerre à l’Institut national d’équitation (INE)

 

Si le XXème siècle connaît un essor de la pratique équestre chez les civils, la place de celle-ci est remise en question dans la pratique militaire et l’utilité même d’avoir un corps d’écuyers spécialisés dans l’instruction équestre se pose. Le Manège de Saumur reste cependant attaché à l’École d’application, l’équitation étant toujours perçue comme utile pour développer des qualités physiques et mentales chez les officiers. Une ouverture au monde civil se réalise néanmoins. Les écuyers du Cadre encadrent des formations pour les instructeurs et compétiteurs civils, mais celles-ci sont une charge supplémentaire, alors même que les effectifs militaires se réduisent.

Une école nationale d’équitation est envisagée en remplacement du Cadre noir dès 1958, par l’État, afin d’assurer une transmission des savoirs entre les civils et les militaires, mais aussi pour coordonner les différents acteurs de la filière équestre. Celle-ci ne voit finalement le jour qu’en 1968, sous l’intitulé d’Institut national d’équitation (INE) ; son directeur est le Colonel Challan-Belval et son écuyer en chef, le Colonel de Saint-André. Placé sous la tutelle du Premier ministre et d’un comité interministériel de l’équitation, cet institut regroupe les moyens du Manège de Saumur, mais également du Centre Sportif d’Équitation Militaire (CSEM) de Fontainebleau. Forme première de la future École nationale d’équitation, il a pour missions de :

  • Former, à l’échelon national, des instructeurs d’équitation.
  • Organiser des stages d’entraînement aux compétitions avec la Fédération française des sports équestres (future FFE).
  • Assurer le maintien et le rayonnement de la doctrine française d’équitation.

L’École nationale d’équitation (ENE)

 ENE
IFCE - site de Saumur : vue aérienne de l'ENE © A. Laurioux
Créée en 1972, l’École nationale d’équitation (ENE) repose sur le corps d’enseignants désormais démilitarisé des écuyers du Cadre noir. Ceux-ci, avec l’école, dépendent désormais du Ministère de la Jeunesse et des Sports. Les écuyers militaires sont cependant toujours présents et l’écuyer en chef reste un militaire. L’école est implantée à Terrefort (49) et des missions nouvelles lui sont attribuées en plus des précédentes : la participation aux études et recherches sur la technique et la pédagogie ainsi que la constitution d’un centre de documentation spécialisé.

Les travaux d’installation pour ériger l’ENE à Terrefort s’étalent de 1975 à 1999. Ils débutent par les écuries, manèges, greniers et services généraux. S’ensuivront la clinique vétérinaire, la maréchalerie, le grand Manège (inauguré en septembre 1984), un amphithéâtre en 1992 et finalement la restauration et le développement du bâtiment central avec un centre de documentation.

Le Colonel Durand, écuyer en chef puis directeur de l’ENE, y amène un nouveau souffle. La pratique du CSO et du cross se développe ; l’école s’ouvre à d’autres disciplines (voltige, attelage, endurance) et s’implique dans un programme de recherche sur le simulateur équestre, Persival. En 1984, deux femmes portent désormais la tenue noire : Mireille Belot et Florence Labram.

L'ENE, une université civile

Saut du piquet © R. Harang - IFCE
Jean-Luc Lhemanne, premier directeur civil, rédige et met en œuvre avec l’écuyer en chef, le Colonel Carde, un projet d’établissement aux débuts des années 90, avec pour ambition de faire de l’ENE une université équestre moderne pour l’an 2000. Un règlement intérieur est écrit et concerne notamment les écuyers, ceux-ci sont désormais recrutés sur concours. Le Colonel Carde poursuit également l’objectif d’élever le niveau d’instruction et demande aux écuyers de privilégier le dressage en tant que tronc commun, tout en se spécialisant dans une autre discipline. Il appuie également sur la réflexion théorique, en organisant plusieurs colloques.

Le directeur suivant, Christian Cambo, poursuit ce projet d’université avec le souhait d’une ouverture de l’école dans une idée de service public. Les civils étant désormais supérieurs sur les militaires en nombre, la hiérarchie du Cadre noir est révisée. Les anciens grades d’écuyers et de sous-maîtres qui correspondaient aux grades d’officier et de sous-officier laissent place à une nouvelle dénomination, pensée en fonction de la progression technique : élève-écuyer < écuyer < écuyer de première classe (renommée maître-écuyer en 2000).

Sous la direction d’Hubert Comis et de l’écuyer en chef, le Colonel La Porte du Theil, sont développés le sport de haut niveau et le handisport. Le saut d’obstacles intègre les présentations, tradition que va perpétuer l’écuyer en chef suivant : le Colonel Faure, qui relève lui-même les défis de la Belle Époque (saut de table et de piquet). Ce dernier sera également l’instigateur de la première réunion, en un spectacle unique, des quatre écoles équestres européennes – Jerez, Lisbonne, Saumur et Vienne – à Bercy, en 2007.

L’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE)

 Lors de la révision des politiques publiques opérée en 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un projet de regroupement entre l’École nationale d’équitation (ENE) et les Haras nationaux est lancé. La création de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), placé sous la double tutelle des Ministères en charge de l’agriculture et des sports, est officialisée en 2010. Les missions de l’école y perdurent :
  • Favoriser le rayonnement de l’art équestre, notamment par le biais des écuyers du Cadre noir.
  • Accueillir et développer les disciplines sportives équestres de haut niveau.
  • Organiser les formations aux métiers des sports équestres et du cheval.
  • Contribuer à la diffusion des bonnes pratiques.
  • Proposer et mettre en œuvre des orientations de recherche et de participer à la diffusion du progrès technique.

Dans cette continuité, les Pôles France Voltige et Jeunes (CCE, CSO, dressage) sont créés et l’IFCE obtient le Label Grand INSEP en 2016. Le rayonnement culturel est aussi assuré par l’inscription de l’équitation de tradition française au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2011, à laquelle le Cadre noir de Saumur a participé activement. Aujourd’hui, les écuyers illustrent cette équitation par le biais des représentations publiques, de la compétition, mais aussi en assurant la formation des professionnels de l’équitation, le travail des chevaux et en s’impliquant dans la recherche.